Le rôle du risque climatique et de l’assurance récolte dans l’avenir agricole du Kenya

Blogue de l’ACA

Action climatique en Afrique joue un rôle au Kenya dans le développement de stratégies visant à autonomiser les agricultrices vulnérables par le biais d’un financement durable et d’une mécanisation pour la résilience climatique.

Les comtés kenyans aux paysages de basse altitude, arides et semi-arides, marqués par des précipitations imprévisibles et peu fiables, contribuent de manière significative aux défis de la dégradation des sols auxquels sont confrontés les petits exploitants agricoles. Le changement climatique intensifie ces problèmes, en particulier pour les femmes kenyanes travaillant dans l’agriculture, en augmentant la vulnérabilité par la perturbation des moyens de subsistance, la pénurie d’eau, les mauvaises récoltes et l’accès limité au financement. Les disparités entre les hommes et les femmes amplifient encore ce fardeau inégal, car les femmes manquent souvent des ressources et des connaissances nécessaires à une adaptation efficace.

Les experts techniques de l’ACA du Climate Risk Institute partagent leur histoire sur notre forum suite à un récent déploiement au Kenya.

Risque climatique et assurance récolte dans l'avenir agricole du Kenya

Par l’équipe du Climate Risk Institute : Mark Redwood, Daniel Salau, Nickson Wafula, Peninnah Muthoni et Dilruba Fatima Sharmin

Le secteur agricole kenyan est de plus en plus vulnérable aux effets du changement climatique, notamment aux sécheresses, aux précipitations irrégulières et à d’autres catastrophes liées au climat qui touchent les agriculteurs dans tout le pays. La situation est particulièrement grave dans des comtés comme Tharaka Nithi et les régions du nord-est, où des sécheresses prolongées menacent les moyens de subsistance. Le risque climatique et l’assurance récolte sont considérés comme des protections essentielles pour les agriculteurs. Cependant, une récente visite sur le terrain de l’équipe d’assistance technique du Climate Risk Institute, en collaboration avec le partenaire local Participatory Approaches for Integrated Development (PAFID), a mis en évidence les principaux défis qui doivent être relevés pour que ces solutions d’assurance s’implantent efficacement au Kenya.

Risques de sécheresse dans les comtés vulnérables

Le risque de sécheresse dans des comtés comme Tharaka Nithi et le nord-est du Kenya a atteint des niveaux critiques. L’augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses rend l’assurance contre les risques climatiques essentielle. L’Autorité nationale de gestion de la sécheresse (NDMA) signale qu’environ 3,4 millions de personnes vivant dans les terres arides et semi-arides (ASAL) sont confrontées à l’insécurité alimentaire, ce qui a un impact considérable sur l’agriculture. Les produits d’assurance contre la sécheresse, tels que l’assurance basée sur un indice, sont promus pour remédier à cette situation. Ces produits activent les paiements en fonction de déclencheurs météorologiques prédéfinis (par exemple, les niveaux de précipitations), offrant aux agriculteurs une compensation rapide lorsque les conditions sont réunies. Cependant, des défis subsistent, notamment en ce qui concerne la clarification des déclencheurs de paiement.

L’un des problèmes majeurs observés est la difficulté pour les agriculteurs d’accéder aux indemnités d’assurance. Bien qu’il existe des produits d’assurance-récolte, de nombreux agriculteurs font état d’un rejet de leur demande d’indemnisation. La complexité de la procédure de demande d’indemnisation et la réticence des assureurs à couvrir les particuliers font que les agriculteurs ne sont souvent pas indemnisés malgré des pertes considérables.

Définir le « déclenchement » des demandes d’indemnisation

Un autre aspect controversé de l’assurance contre les risques climatiques au Kenya est la définition d’un « déclencheur » pour les paiements. Dans le cadre d’une assurance basée sur un indice, les paiements sont généralement liés à des événements spécifiques et mesurables, tels que des précipitations inférieures à un certain seuil ou des températures supérieures à des limites. Cependant, les agriculteurs et les assureurs sont souvent en désaccord sur ce qui constitue un événement suffisamment grave pour déclencher un paiement.

Par exemple, un agriculteur de Tharaka Nithi peut faire valoir qu’une période de sécheresse prolongée a considérablement endommagé les cultures, tandis qu’un assureur peut rétorquer que l’indice des précipitations n’est pas encore tombé en dessous du seuil convenu. En outre, certains fonctionnaires du ministère attribuent les mauvaises récoltes à la négligence et à la mauvaise gestion des agriculteurs, en citant des problèmes tels que la négligence des intrants recommandés ou le retard dans le désherbage essentiel. Ces désaccords frustrent les agriculteurs et érodent la confiance dans les produits d’assurance. Un autre problème est que les indices nationaux peuvent ne pas refléter efficacement les sécheresses ou les inondations localisées, ce qui nécessite une approche plus granulaire de la collecte des données et de la définition des seuils de déclenchement. Par exemple, certaines compagnies d’assurance utilisent des carrés de 25 km² comme unité, ce qui peut être trop large, car les conditions écologiques peuvent changer radicalement même dans un rayon de 10 km.

Importance des subventions pour les assureurs

Au Kenya, les assureurs hésitent à proposer une assurance récolte à grande échelle en raison des risques élevés qu’ils perçoivent. Les sécheresses, les parasites et d’autres événements liés au climat présentent des incertitudes importantes, ce qui rend la couverture coûteuse. Par conséquent, de nombreuses compagnies d’assurance affirment que la fourniture d’une assurance-récolte à grande échelle ne serait pas financièrement viable sans subventions.

Les subventions se sont déjà avérées efficaces dans certains cas. Par exemple, dans le cadre du programme d’assurance agricole du Kenya, le gouvernement accorde des subventions pour réduire les primes d’assurance récolte des agriculteurs. Ces subventions permettent aux petits exploitants de payer les primes qui s’ajoutent aux coûts de plus en plus élevés des intrants agricoles.

La dimension de genre : Les femmes et l’agriculture à Tharaka Nithi

Dans le comté de Tharaka Nithi, les femmes occupent une place centrale dans la main-d’œuvre agricole et sont souvent les principales gardiennes des petites exploitations. Malgré leur rôle essentiel dans la production alimentaire, elles se heurtent à d’importants obstacles dans l’accès aux ressources telles que la terre, le crédit et les intrants agricoles. Cette marginalisation est particulièrement préoccupante dans le contexte du changement climatique, car les femmes de Tharaka Nithi sont souvent les premières à subir les risques liés au climat.

Les inégalités structurelles s’étendent aux risques climatiques et à l’assurance des récoltes, les femmes de Tharaka Nithi n’ayant souvent pas les moyens financiers de payer les primes en raison d’un accès limité aux services financiers formels par rapport à leurs homologues masculins. Les normes culturelles peuvent également limiter leur participation à des coopératives ou à des groupes de négociation collective, ce qui les empêche de mutualiser les risques ou de plaider en faveur de conditions d’assurance équitables. En outre, les efforts de sensibilisation ciblent souvent les agriculteurs masculins, ce qui fait que de nombreuses femmes ne sont pas au courant des assurances récoltes disponibles. Une approche sensible au genre est essentielle pour inclure les agricultrices dans les programmes d’assurance contre les risques climatiques.

La voie à suivre

Pour améliorer l’efficacité des produits d’assurance pour les agriculteurs au Kenya, nous proposons plusieurs approches stratégiques :

  1. Encourager les modèles coopératifs : L’organisation des agriculteurs en coopératives peut aider les agriculteurs individuels à surmonter les obstacles à l’accès à l’assurance et faciliter la négociation collective, ce qui est particulièrement important pour les femmes dans l’agriculture. Les coopératives peuvent servir d’intermédiaires entre les agriculteurs et les régimes d’assurance, ce qui les protège contre l’exploitation et favorise l’autorégulation.
  2. Accroître les subventions publiques : Les subventions sont essentielles pour rendre l’assurance récolte abordable et inciter les assureurs à proposer des produits dans les zones à haut risque. Fixer un délai d’évaluation (par exemple, 5 ans) pour permettre de tester plusieurs cycles d’assurance-récolte.
  3. Améliorer la collecte de données et les indices : Des données météorologiques plus précises, plus pertinentes au niveau local et plus opportunes sont nécessaires pour définir les éléments déclencheurs des paiements d’assurance, réduisant ainsi les litiges entre les agriculteurs et les assureurs. Il serait utile de s’inspirer du programme IBLI (Index-Based Livestock Insurance) parrainé par l’ILRI.
  4. Se concentrer sur les zones sujettes à la sécheresse : Les initiatives d’assurance contre les risques climatiques devraient donner la priorité aux comtés comme Tharaka Nithi et aux régions du nord-est, étant donné leur grande vulnérabilité à la sécheresse.
  5. Concevoir des solutions d’assurance sensibles au genre : Les assureurs locaux devraient collaborer avec les groupes de femmes et les coopératives pour créer des produits qui répondent aux risques spécifiques auxquels sont confrontées les femmes dans l’agriculture. Cela peut inclure des subventions ciblées pour rendre les primes d’assurance plus abordables, car de nombreuses femmes travaillent avec de faibles marges bénéficiaires. Des campagnes d’éducation visant à sensibiliser les femmes à l’assurance récolte seront également essentielles à leur participation.
  6. Soutenir le renforcement des capacités en matière de produits et de régimes d’assurance : La formation dispensée par les agences de vulgarisation agricole et les grandes coopératives est essentielle pour concevoir et fournir des produits d’assurance. Par exemple, la clarification des conditions générales permettra aux fournisseurs et aux consommateurs de mieux comprendre leurs droits et leurs obligations, ce qui favorisera une meilleure prise de décision et une plus grande transparence. Nous proposons que des tiers, supervisés par le ministère de l’agriculture (MOA), expliquent ces produits afin de fournir une vision équilibrée de leurs coûts et de leurs avantages.
  7. Encourager les banques et les entreprises d’agro-intrants : Elles devraient jouer un rôle essentiel dans l’intégration de l’assurance dans leurs produits de prêts aux intrants. Toute assurance associée à un prêt doit être accompagnée d’explications claires et transparentes sur la couverture (voir point 6). Il est essentiel d’assurer une surveillance rigoureuse, en particulier à mesure que l’assurance contre les risques climatiques se développe.
  8. Tirer parti de l’influence du marché : Les marchés peuvent améliorer considérablement l’adhésion à l’assurance. Les grands acheteurs comme East African Maltings Limited (EAML) peuvent mener cet effort en promouvant les contrats à terme et en encourageant l’adoption d’une seule variété de culture adaptée aux conditions environnementales locales. Cette stratégie simplifie les chaînes d’approvisionnement et réduit les difficultés liées à la gestion de diverses cultures provenant de nombreux petits exploitants, créant ainsi un environnement plus prévisible tant pour les agriculteurs que pour les assureurs, et augmentant ainsi les taux d’adoption de l’assurance.

En relevant ces défis, l’assurance contre les risques climatiques et l’assurance récolte pourrait transformer la manière dont les agriculteurs kenyans s’adaptent aux risques croissants du changement climatique. La collaboration entre le gouvernement, les assureurs et les agriculteurs est essentielle pour garantir l’accessibilité, l’efficacité et la durabilité de ces outils.

À propos d’Action climatique en Afrique (ACA)

Action climatique en Afrique (ACA), financée par Affaires mondiales Canada (AMC) et mise en œuvre par Alinea, Econoler et WSP Canada, mobilise une assistance technique ciblée et à court terme dans toute l’Afrique subsaharienne pour faire progresser les objectifs climatiques locaux alignés sur l’Accord de Paris. Grâce au mécanisme de déploiement d’experts pour l’action climatique en Afrique (EDM-CAA), les experts canadiens en climatologie s’associent aux gouvernements, aux ONG, aux organisations de la société civile, au secteur privé et aux établissements d’enseignement postsecondaire pour répondre aux besoins locaux. Le CAA soutient l’amélioration de la gouvernance climatique, la promotion des énergies renouvelables, la conservation des forêts, la résilience de l’eau et l’agriculture intelligente face au climat. En mettant l’accent sur l’autonomisation des femmes en tant qu’agents de changement, la CAA encourage le leadership inclusif et la coopération Sud-Sud, faisant progresser les solutions climatiques durables dans toute la région. Pour plus d’informations sur les experts techniques canadiens, veuillez consulter le site : Climate Risk Institute. Plus d’informations sur le PAFID.